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Clair de Plume 34 association vicoise des Ecrivains colporteurs

EDITION ASSOCIATIVE. nos écrivains, leurs passions et nos actions : expositions, ateliers d'écriture, rencontres littéraires, patrimoine, histoire, écologie

Tu m’aimes, je te hais Fibromylgie. Nous sommes tous des jedi

Publié le 20 Octobre 2015 par CLAIR DE PLUME

Tu m’aimes, je te hais Fibromylgie. Nous sommes tous des jedi

 

Fibromyalgie. C’est joli, comme non, n’est-ce pas ? Un mot absent du dictionnaire. On pourrait se dire que c’est un mangeur de fibres… non, ce serait fibrophage. Quelqu’un qui a la fièvre ? Que nenni ! Fibromasseur ? Ah non, c’est vibromasseur. Alors vous voulez dire vibromyalgie ? Non ! non et non ! Fibromylagie. De fibre et de mal. De douleur et d’absence. Fibro de silence, d’incompréhension, fibro nationale et internationale, française et européenne, ignorance inhumaine. Iniquité. Qu’est-ce qui se cache derrière ce si joli nom ? Quelle demoiselle, quelle fleur ? Quel oiseau ? Rien de tout ça, la fibromyalgie n’est ni un oiseau exotique, ni une fleur des champs, seulement une maladie. Une maladie incurable mais pas mortelle. Ouf ! Vous voilà rassurés. Oui, mais… Une maladie dont on meurt parfois en se donnant la mort. Tellement elle est souffrance, distance, impatience – celle des proches – silence, ignorance, sentence, impuissance… révolte, colère, insoumission, addition et soustraction de jours, de coussins de canapé, de flacons de potions, de boîtes de cachetons, de solutions impossibles, multiplications de larmes et de colère, division par cent des facultés physiques. Mathématique du désespoir. Théorie de l’inexplicable. On sait ce qu’il y a sur la lune. Sur Mars, il y a de l’eau, Vous rendez-vous compte ? De l’eau sur Mars ! Quelle chance ! Mais dans mon corps, mon cerveau ? Messieurs de la NASA savez-vous ce qu’il y a ? Des connections déconnectées ? Des solutions insolubles ? Impossibles pour vous qui savez ce qu’il y a sur Mars ? C’est une blague ?

Une blague qui commence comme un mauvais rêve. Des nuits sans sommeil, des douleurs diffuses dans les bras, les jambes.

- Je ne sais pas ce qui s’est passé cette nuit, j’avais l’impression que mes jambes étaient d’un côté, les bras de l’autre, à l’envers, les coudes sur le dessus, les genoux en dessous. »

- Tu fumes la moquette en cachette ? »

- Moi je ne fume pas. Je ne bois pas, seulement un verre de rosé le soir. Et les douleurs s’intensifient. Qu’en pensez-vous docteur ?

- Vous marchez beaucoup ?

- …

- Alors vous marchez trop.

- …

- Vous ne marchez pas ?

- …

Il vous faudrait marcher.

- Et pour les bras ?

- Abandonnez le tricot.

- Mais je ne tricote pas, moi !

- Alors tricotez ! Ça vous fera faire de la gymnastique.

- Merci docteur, au revoir docteur.

- D’ailleurs, madame, la fibromyalgie ça n’existe pas.

Ben voyons ! Je ne reviendrai pas.

Les jours passent, les nuits. Les bras et les jambes sens dessus-dessous font affreusement mal. Les matins se lèvent de plus en plus tôt. Les nuits se raccourcissent. Il faut bien aller au travail… mets ton chandail… alors que j’aimerai tellement rester au bercail. Impossible ! Qui fera bouillir la marmite ? Qui mettra la poule au pot ? Le pot au feu sur le gaz ? Qui paiera l’école des enfants, le loyer, l’électricité, les congés sans vacances, les médocs pour tes nuits sans sommeil ? Qui ? Qui ? Ça crie si fort dans mes oreilles que je ne m’entends pas. Je ne me vois pas, ne me parle, pas, ne m’écoute pas, ne m’arrête pas, mais je me sens. Cette sournoiserie au creux de mon dos je la sens qui se promène. En plus des nuits, maintenant elle bouffe mes jours. Elle me grignote, me ronge, m’asticote. Elle veut être mon amie, la seule, la vraie, ma sœur jumelle, habiter à l’intérieur de toutes les fibres de mon corps, au plus près de moi. Je ne veux pas de toi. Qu’importe. Les escargots se promènent sur les feuilles en laissant des traînées de bave, les fourmis font des sillons dans la terre qui vont jusqu’à leur galerie. C’est comme ça qu’on les suit. Moi je te suis, le long de mes bras, de mes jambes, autour de côtes, au creux de mes seins, de mes reins, sur mon visage, ma mâchoire, mes doigts, mes muscles et mes tendons. Tu te fais une petite place bien au chaud dans moi. Je ne veux pas de toi ! Crève !

Mais tu es increvable.

J’apprends qu’on peut souffrir sans que ça se voie.

Des sourires narquois, des allusions à une pièce de Molière « le malade imaginaire ». Tu devrais le lire. Bien reçu le message. Des alluvions de cynisme, d’obscurantisme, de sadisme. Interventionnisme de la Sécu. Chez un psy, et vite ! Evite les regards condescendants. N’écoute pas. Tu es un puzzle, une femme en petits morceaux. Il faut reconstituer le tout. C’est dans ta tête.

Vite, le canapé !

Au boulot ma vieille. Il faut gagner la pâte pour faire lever le pain que tu as sur la planche.

Pas de canapé.

Tout ça finira mal. Et ça finit mal, inévitablement… puisque c’est dans ta tête. Un matin de février, le fossé se rapproche dangereusement. Celui qui me sépare des gens normaux, des sains de corps et d’esprit. Celui vers lequel la voiture se dirige. Un coup de frein ! Non mais je ne vais quand même pas ! Ça a failli. Larmes qui coulent sur le volant. Cris de douleurs et d’insupportabilité. Oui, je l’ai inventé. Ça vous gêne ? Parce que si ça vous gêne, je m’en fiche, il n’existe aucun mot pour ça.

Tout dérape. Dans ma tête, sur la route. Je n’irai pas travailler aujourd’hui. Retour à la maison. Canapé. Oh que j’ai mal… Dormir, un peu, sombrer dans le vide, vider ma tête et mon corps. Zadiar. Saint Zadiar priez pour moi. Euphorie, rigolade. C’est soudain le fou-rire avec des douleurs insupportables qui s’estompent doucement.

Scanner, radios, analyses, IRM. Rien. Aucune pathologie. Non, je ne suis pas hypocondriaque. Au secours ! Aidez-moi ! Tension artérielle à 21. Panique à bord. Vous allez y rester ! Cardiologue en colère et médecin du travail incompétent. Larmes, souffrance et c’est reparti. Ce matin, je ne prendrai pas le volant. Je ne le prendrai plus pendant un certain temps. Le zadia non plus. « Vous avez les effets indésirables, me dit la psychiatre. Votre médecin aurait pu s’en rendre compte ! « Euphorie. C’est écrit dessus ».

Voilà pourquoi je rigolais tout le temps alors que j’avais envie de pleurer, de hurler. Des crises de rire nerveuses, malsaines.

FIBROMYALGIE. Dépression.

Dépression cause douleurs.

Il y a encore des psys clairvoyants.

 

J’ai essayé l’acupuncture, la culture du rien, du silence, du non-dit, la relaxation, la spéculation sur mes chances de guérir, l’autodérision, la détermination sans faille des désespérés. J’ai tenté l’impossible, la balnéothérapie, la phytothérapie, la mise en charpie de mes anciennes espérances, les faire semblant et les faux semblants. Je suis passée par-dessus les moqueries, les blagues à part, les blagues idiotes, les rires cachés, les sourires en coin et les coins sombres de mon âme. Et si tout s’arrêtait ?

Que me restait-t-il ?

Il me restait toi. Ton visage d’enfant au bout d’une lorgnette comme un naufragé sur un radeau aperçoit la terre de loin, son île où il doit accoster. Parce que tu avais besoin de moi. J’ai eu besoin qu’on ait besoin de moi. Heureusement. Sinon, rien. J’étais seule, étouffant de détresse, de mal de vivre au sens propre, je me figurais être devenue une autre personne dont personne n’avait que faire. Pas besoin d’une chouineuse, une gâteuse, une fatiguée de ne rien faire, une incapable d’être là simplement sans des « aïe » et des « ouille », une emmerdeuse récalcitrante qui ne veut pas sortir le soir ni dormir dans un lit. Une invalide de la conduite avec un permis depuis trente ans, une pleureuse aux feux verts, une trouillarde des ronds-points, des virages et des lignes droites. Une incapable de se retenir de pleurer. J’avais besoin de tout le monde, mais seule toi avais besoin de moi. Et c’est ce qui m’a fait survivre. Pas pour moi. Pour toi, trop jeune pour comprendre, pour supporter, pour survivre sans moi. Pas encore adulte, l’adulte c’était moi. Alors, j’ai mis mes douleurs dans mon sac à dos, je l’ai amarré solidement et l’ai trimbalé bien calé sur mes épaules. Pour toi et pour ta sœur. Ta sœur qui m’a sauvé la vie en m’empêchant de prendre la voiture, en appelant un médecin au secours. Pour ton père et le mien, et puis pour moi enfin. Moi que j’ai toujours oubliée, sans cesse reléguée à la dernière place.

Alors j’ai dit non. Non je ne cacherai pas ma souffrance, non je ne tairai pas cette sournoise qui s’infiltre en moi et qui ne se voit pas.

Je ne suis pas hypocondriaque.

Elle s’appelle fibromyalgie. Enfin, elle a un nom, une identité, une existence reconnue par l’OMS : organisation mondiale pour la santé.

Je suis obligée de composer avec elle, mais elle ne m’aura pas.

Elle m’aime et moi je la hais. Elle habite mon corps sans payer de loyer, elle me dérange, comme le téléphone qui ne sonne jamais au bon moment, cette squatteuse, cette bouffeuse de neurones ; elle m’envahit, me trahit, m’ennuie, m’irrite, me torture, me triture.

Mais nous restons ensemble comme un vieux couple, peut-être par habitude - pour elle en tout cas – impossible de divorcer, même pas de la tuer.

Il me reste à essayer de comprendre.

Pour moi, pour vous, pour les autres.

 

 

 

 

 

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