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Clair de Plume 34 association vicoise des Ecrivains colporteurs

EDITION ASSOCIATIVE. nos écrivains, leurs passions et nos actions : expositions, ateliers d'écriture, rencontres littéraires, patrimoine, histoire, écologie

Graines de malice dans un jardin

Publié le 20 Octobre 2015 par CLAIR DE PLUME

Graines de malice dans un jardin

Graines de malice dans un jardin


Il y a des soirs où ce foutus jardin lui sort par les trous de nez et elle reste polie.
Sans demander son reste, Marie avale un oeuf dur, et plonge avec délice dans les bras de Morphée.  
Adieu bêche, pioche, gants puants et bottes crottées, bonjour délices de la nuit. Peu avant l'aube pourtant, alors que la nuit a été apaisante, son odorat alerté et un bruit de petite souris la réveillent. Sa tête est lourde, ses membres encore un peu douloureux.  
Mêlée à un relent d'herbe mouillée et de moisissure, une senteur sucrée emplit la chambre. A moitié endormie, Marie pousse les draps d'un geste sauvage libérant la clarté qui filtre maintenant sous la porte de la  salle de bain, irradiant la pièce. 
La clarté ? Pas seulement. Des brindilles s'échappent de la pièce d'eau, s'allongent, s'étirent lentement sur la moquette de la chambre, s'enroulent autour des pieds du lit, grimpent sur les draps défaits, prêts à encercler Marie. 
Sûre de rêver, la jeune femme se lève d'un bond oubliant ses douleurs musculaires. Elle est avalée tout de go par des herbes complètement folles. 
Le jour nettoie l'atmosphère et la nuit s'estompe. Dans la chambre toute verte, Marie ne bouge pas.  Les herbes non plus. Elle en profite pour balayer du regard la pièce transformée en forêt. Sa commode noyée sous les feuilles géantes du  géranium en pot ; l'armoire normande lacérée par les griffes de sorcière, toute huileuse, baveuse. En y regardant de plus près, elle reconnait de la bave d'escargot... Sur la petite chaise d'enfant près de la fenêtre, des oeufs dorment sur la paille. La moquette luit comme un beau terrain de golf. 
Marie ne bouge toujours pas. Si elle ose un geste, l'étreinte végétale se resserre.
Splendeur et misère dans son refuge qu'elle avait voulu hors la ville ! Elle avait rêvé de Renaissance, loin des gaz d'échappement, près de la nature... mais pas si près. 
Car tout est dans la mesure, et cette nature ogresse ne lui convient pas. Avec le courage et la force des désespérés elle arrache les racines qui déjà l'étranglent et aussitôt tout reprend sa place. Le géranium dans son pot, l'armoire normande sans coulure de bave d'escargot, la moquette et sa poussière et la petite chaise d'enfant désespérément vide... Les oeufs ont repris leur place dans l'assiette du tableau de Georg Flegel encadré près de la fenêtre. 

Qui lui a dit : "Pars pour oublier ton chagrin" ? 

Aujourd'hui, Marie retourne en ville. 


Claude Muslin

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